Gérer un Intercontrat

Publié par doug

Être en inter-contrat est vu comme quelque chose de terrible. C'est l'inactivité, se sentir inutile, c'est pratiquement le chômage quoi. Il convient d'apporter quelques informations là-dessus.
Premièrement, cette situation n'a rien de juridique. C'est une situation de fait : pas de projet et pas de client. Toutefois, vous gardez votre CDI, ce n'est en aucun cas un motif de licenciement valable. Vous pourriez rester 10 ans en inter-contrat sans que ce ne soit pour autant un motif de licenciement.
Évidement, pour votre crèmerie, c'est une perte sèche puisqu'elle vous paie à rien faire. Là est tout le problème.
L'inconvénient pour vous ?
Tout dépend de ce que l'entreprise vous oblige à faire pendant c
e temps là.

  • Certaines en profitent pour vous faire faire des formations. Ça occupe, ça fait des journées tranquilles, c'est pas mal.
  • Certaines vous obligent à venir traîner à l'agence sans tâche particulière à faire. Là, c'est plus ennuyeux, puisque vous tournez en rond toute la journée. C'est une situation donc il faut sortir rapidement parce que si la période dure trop, la crèmerie risque de vous pousser à la faute pour vous virer. Sachez une chose : l'employeur a obligation légale de donner du travail à ses salariés. En laisser un dans un bureau, sans tâche à accomplir est une faute grave. C'est une solution comme une autre pour sortir de cette situation.
  • Le must, c'est d'être payé à rester chez soi. Dans ce cas, vous êtes obligé d'être joignable pendant les heures de boulot et de pouvoir vous pointer à l'agence si on a besoin de vous. Bon... d'une, ce n'est pas déraisonnable, de deux, il suffit de bien s'organiser.

Dans mon cas, ça a d'abord été des formations. Puis, quand j'ai eu fini, ça a été glande à l'agence pendant une semaine et comme le boulot n'arrivait pas au forfait, ils se sont mis à envoyer les gens en régie. Évidement, la plupart des gens appréciaient l'absence de déplacements, et n'étaient pas très en joie à l'idée de devoir aller chez un client à perpette. Mais bon, dans un premier temps, il n'y a pas eu de révolte : ce n'était pas la faute de la direction si il n'y avait plus d'activité, et on était compréhensifs sur le fait qu'elle nous envoyait en régie.
La situation s'est gâtée quand il s'est avéré que l'entreprise essayait d'entuber les gens sur les frais de déplacement et sur la comptabilisation des heures de travail. Certes, il y avait moins d'activité, mais le groupe restait bénéficiaire, il n'y avait donc absolument pas lieu d'arnaquer les employés.
Nous nous sommes donc mis à discuter entre nous (une dizaine) sur le code du travail, on se renseignait pour ne pas se faire avoir, on s'échangeait des infos, ce qui n'était pas du goût de la hiérarchie qui a décidé de mettre fin à cette situation scandaleuse en nous donnant à tous un ordre de mission à rester chez nous. Si les employés commencent à connaître leurs droits, où va-t-on ? Le risque était que l'on renseigne d'autres gens, ils ont donc préféré nous renvoyer chez nous pour pouvoir arnaquer en paix ceux qui seraient mal renseignés.

6 mois chez moi

Oui, je sais, vous ne vous êtes pas tapé 5 ans d'école d'ingénieurs (ou deux ans de prépa + 3 ans d'école pour certains d'entre vous) pour rester chez vous à glander, même en étant payé. Moi non plus, ce n'était pas mon but. Seulement, si vous voulez être heureux en SSII, vous devez vous accommoder de ce genre de situations. Si vous ne pouvez pas supporter d'être payé à rien faire, si vous ne pouvez pas rester chez vous sans tourner en rond et déprimer, vous allez être mal dans votre vie chez ssii-lambda.
Si vous voulez faire partie des vainqueurs, vous devez voir le bon côté de ce genre de situations.

Être payé pour rester chez soi, il y a pire comme tuile non ?

Il suffit de se trouver une activité qui puisse être abandonnée à tout moment pour aller à l'agence en cas d'appel.

Les quatre de l'inter-contrat

Dans mon ancienne équipe, on était quatre dans la même situation. L'un retapait un appartement, la situation était donc royale pour lui et il a tout fait pour se faire oublier. Si la crèmerie appelait, il pouvait toujours prendre une douche rapide, enfiler un pantalon propre et rappliquer, ça lui est d'ailleurs arrivé une ou deux fois, il a perdu le ciment qu'il venait de faire, ce qui est fort ennuyeux, mais pas autant que de devoir bosser à deux heures de chez soi, me semble-t-il. Au bout de 9 mois, l'agence a fini par le rappeler pour un contrat au forfait, sur le site, il n'a donc même pas eu besoin d'aller chez un client. Pour lui, ce fût magique : il s'était acheté un vieil appartement pour le rénover en plusieurs années le soir et le week-end. Vu qu'il a pu y consacrer tout son temps, il a fini bien plus vite qu'il ne le pensait.

Les trois compères

Les trois autres, moi compris, en ont profité pour trouver un autre boulot plus intéressant et mieux payé. A moi, ça m'a pris six mois. Il faut dire que j'ai bien fait la fine bouche. Il n'y avait pas urgence, puisque mon salaire continuait de tomber tous les mois. Les deux autres ont trouvé 15 jours après moi.

Qu'a-t-on fait pendant ces six mois ? Nous avons bien vécu, lisez plutôt

Premier mois

Le matin, lever à 10 heures, petit déjeuner tranquille, on se retrouvait tous les trois vers 11 heures chez moi (on habitait pas loin). On se préparait un bon repas pour le midi. Après manger, envoi de CV pendant environ deux heures, puis partie de jeu vidéo avec des bières. Début de soirée, on sortait pour remplir le frigo sachant que l'on était plus tenus d'être disponibles pour la boîte. On passait la soirée ensemble. Ce premier mois ne fût pas le meilleur, on était en stand by, on était appelé régulièrement pour des entretiens en vue de missions pourries dans des contrées lointaines. Évidement, on ratait ces entretiens mais on pensait que l'on allait finalement devoir aller en mission quelque part, pas trop loin avec un peu de chances.
Au bout d'un mois à ce rythme, un de mes deux compères a eu une proposition par une autre SSII. Nous avons donc été à la crèmerie, il a été chez les RH pour dire qu'il acceptait de partir mais qu'il voulait une prime de départ.

Réponse : "On ne te retiens pas, mais pour la prime, c'est non". Seule concession de leur part : il n'aurait pas à effectuer le préavis de trois mois normalement d'usage.

Les cinq mois suivants

Là, les choses ont changé. D'un côté, la crèmerie a changé son fusil d'épaule. Elle a arrêté de nous contacter pour des entretiens. Parce qu'elle a vu que l'on les ratait tous dès l'instant qu'ils étaient hors agglo ou parce qu'elle pensait que l'on démissionnerait bientôt vu que l'on cherchait tous les trois du travail ? Nous ne l'avons jamais su.

De notre côté, on s'est dit que l'on avait affaire à des champions et que nous devions nous attendre à ce que la situation se prolonge.

Qu'à cela ne tienne !

On s'est pris une colloc tous les trois !

Le mec qui avait eu la proposition d'embauche a ramené un peu de matériel de chez ses parents et il s'est mis à brasser de la bière. Pas terrible au début, puis il s'est amélioré, il fait maintenant quelque chose de tout à fait buvable. Mon second compère et moi-même avons bidouillé sur Linux qui était l'un de nos passe-temps favoris. Moi, j'ai aussi lu des bouquins d'histoire et d'économie, ce sont deux choses qui m'ont toujours intéressé.

Il faut se représenter la scène avec mon collègue et maintenant ami en train d'essayer de brasser sa bière dans le salon, l'autre en train de coder pour le noyau Linux, et moi en train de lire mes bouquins d'histoire ou d'économie ou de cuisiner des bœufs bourguignons, des coqs au vin ou du filet mignon. Ces cinq mois pendant lesquels on s'était "installés dans l'inter-contrat", j'en garde, là aussi, un excellent souvenir. C'était magique ! C'était une grande époque, et ça me fait des choses à raconter !

Est-ce que j'aurais aimé que ça dure toute ma vie ?
Sans doute pas, mais, de toute façon, on savait tous que ça allait s'arrêter tôt ou tard. Soit on allait trouver un autre boulot, soit l'activité allait repartir et la crèmerie nous rappellerait.

Au bout de cinq mois, j'ai eu une proposition intéressante, avec un bon salaire. A l'entretien, j'ai été honnête : j'ai dit que j'étais en poste dans une SSII mais en intercontrat et que j'en profitais pour chercher un autre poste afin de "découvrir de nouveaux horizons". Ça passe très bien.

Le départ (snif)

A mon tour, j'ai contacté la crèmerie pour demander une prime de départ. Et là, surprise, ce fût oui. 3500€, presque deux mois de salaire, plus de trois fois le montant de l'indemnité légale de licenciement ! Je me suis dit que je n'aurais pas mieux, j'ai pris. Je suis certain qu'il y en a qui arrivent à négocier de meilleurs primes, mais je crois qu'il ne faut pas tenter le diable : quand tu en es à 6 mois d’inter-contrat, que tu trouves un boulot bien payé et qui t'intéresse et que ta crèmerie te propose un cadeau de départ, tu prends et tu dis merci. Rester encore des mois en inter-contrat, c'était tentant, mais le risque était de perdre l'habitude de bosser et de voir le CV se déprécier.

Voilà comment s'est terminé ma courte carrière en SSII

Quelques analyses

L'intercontrat peut aussi être un enfer et un piège. Pour nous, ce fut génial parce que nous ne sommes tombés dans aucun des deux pièges suivants :
> Rester tout seul chez soi, se remettre en question et finir par déprimer.
> S'éterniser dans cette situation. A mon avis, un an, c'est un grand maximum. En tout cas, il faut à la fois avoir un plan de sortie et se dire que l'on a le temps.


Il faut profiter du temps dont on dispose pour faire des CV, peaufiner les lettres de motivation et candidater. Le but, à terme, c'est de trouver un meilleur boulot, pas de rester éternellement chez soi à ne rien faire. De toute manière, ce n'est pas possible. Si vous faîtes ça, l’inter-contrat peut être un formidable accélérateur de carrière. Personnellement, si je ne l'avais pas eu, j'aurais cherché une autre boîte à peu près à la même période, j'aurais sûrement trouvé un truc, mais je n'aurais jamais eu un poste aussi royal, ni à un salaire pareil et mes deux amis non plus.
Cela vient du fait que nous avons pu passer deux ou trois heures par jour à chercher et à préparer les entretiens (hyper important pour travailler aux States, consécration de l'un de mes deux amis).
Cela vient aussi du fait que nous avons vraiment joué les fines bouches. En principe, quand on est en SSII en province, on démarre autour des 30k, au bout de deux ans, on cherche et on se contente largement de 35k si c'est en province, 40-42 si c'est à Paris. Ça fait un beau gap salarial de 15%, ça aurait été mon calcul en temps normal. Mais là, quand on en venait au pognon dans les entretiens : "C'est quoi vos prétentions ? 38k pour la province, 45 pour Paris ! (silence)" Tu veux pas ? Ça fait rien, je continue à chercher ! Et puis, une fois, sur un malentendu, c'est passé.

Vous ne pouvez pas adopter une stratégie pareille quand vous chercher un nouveau taf le soir après la journée de boulot. Pas le temps. Votre recherche d'emploi, vous y consacrez au maximum une heure le soir et un après-midi le week-end. Avec un tel investissement, des vraies chances de trouver un meilleur poste, vous en aurez deux où trois, au bout de trois mois, vous ne pouvez pas prendre le risque de les cramer en demandant 40 là où le marché offre normalement 35 sauf accepter de chercher pendant des mois avec l'investissement en temps que ça demande.

Nous, on pouvait.

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