Notre ami Jean Luc

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Jean-Luc, c'était mon premier boss, mon n+2. Il était très drôle pour quiconque savait décrypter son discours. Il avait 20 ans de baraque et se disait très content d'être là. Normal, pour un chef, ça fait partie de son boulot de motiver les troupes. C'est un vrai chef d'équipe en SSII, qui passe pour quelqu'un de charismatique (c'est du moins ainsi qu'il se voit).
Pour convaincre les troupes qu'on est bien ici, il a deux arguments :

  • Pas de déplacements
  • Jamais de licenciements, sauf pour ceux qui ne glandaient vraiment rien. En tout cas, pas de licenciement de masse. Parce que "il en avait vu, des gens, qui étaient partis dans d'autres boîtes pour 5 ou 10k de plus, mais les boîtes en question ont fini par mettre la clef sous la porte et les mecs en question ont fini en régie à 45 balais".

Évidement, il oubliait de préciser que le jour où ssii-lambda aurait besoin de licencier, on serait mis à la porte comme n'importe où ailleurs. Le jour où il n'y aurait plus assez de travail au forfait, on nous enverrait en régie comme ailleurs (d'ailleurs, c'est arrivé par la suite).

Ceci étant, notre Jean-Luc était vraiment bien dans cette boîte, mais pas pour les raisons qu'il avançait. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que lui, il a commencé dans les années 90, une belle époque pour l'informatique. Dans ces années-la, les SSII étaient de bonnes boîtes qui payaient bien. Il est donc entré avec un bon salaire, qui n'a peut-être pas toujours été revalorisé mais qui reste malgré tout correct.
Le mec qui commence dans les années 90, il entre avec une bonne paie, il s'achète sa maison, il rembourse le crédit, il met de l'argent de côté. Quand arrive l'explosion de la bulle internet, et surtout, la crise de 2008, il se retrouve avec un salaire gelé ou presque, mais un salaire qui ne baisse pas. Plus de primes. La poule aux œufs d'or ne pond plus mais d'un autre point de vue, la maison est payée. En compensation, le rythme de travail est considérablement allégé.

Ses horaires : 9h30-12h et 14h-18h30 sauf le vendredi où il finit à 17h30.

Notre Jean-Luc a 40 personnes sous ses ordres sur un projet qui est bien sur les rails, il n'est même pas aux 35 heures ! Certes, ailleurs, il pourrait facilement se faire plus d'argent, mais il faudrait bosser bien davantage. Jean-Luc, il aime l'argent comme tout le monde, mais il ne court pas forcément après. Faire 60 heures par semaine pour gagner même deux fois plus ne l'intéresse pas. C'est pour ça qu'il est bien là. Il a des enfants dont il peut ainsi s'occuper, il aime bricoler dans sa maison. Il a une qualité de vie que peu de cadres de ce niveau ont.

Dans cinq ans, sa baraque sera finie, ses enfants seront aux études, il aura plus de temps. Sans doute changera-t-il de boulot pour gagner plus. Bien sûr, il ne le formulera pas ainsi, il la jouera crise de la cinquantaine : "j'ai besoin de relever de nouveaux défis !". La crise de la quarantaine est une chose bien commode pour justifier un départ.

Toute cette génération qui a entre 40 et 60 ans aujourd'hui et que l'on retrouve aux positions n+3, n+4 ou plus, elle a connu une histoire bien différente de la nôtre, et c'est pour ça qu'elle se plaît dans les SSII. Pour nous, ce n'est pas la même chanson, il faut donc écouter avec un esprit extrêmement critique le discours de Jean-Luc. Nous, on a 25 ans, on vient de commencer à bosser, on n'a pas connu la poule aux œufs d'or, on n'a pas d'argent de côté, pas de logement à nous. Et surtout, on n'a pas leurs salaires. On ne peut pas raisonner de la même manière.

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