Argent et hypocrisie

Publié le

Dans le monde de l'entreprise et plus encore dans les SSII, parler d'argent fait vulgaire. On est sensé être là par passion de son métier, on aime aussi son entreprise, ses collègues, bref, tout le monde aime tout le monde, tout le monde est beau et tout le monde est gentil. Quelle chance a-t-on, dirons-nous même, d'être payé pour avoir le plaisir de faire quelque chose qui nous passionne ! On serait même prêts à payer pour avoir le privilège d'être là, alors demander plus d'argent, c'est indécent voyons !
Parler du PDG qui se fait 50 ou 100 fois plus que vous, c'est aussi être mesquin : c'est toujours un homme exceptionnel à qui l'entreprise doit tout, sans qui vous ne seriez pas là.

En SSII, vous êtes payé pour pisser du code (généralement de mauvaise qualité) et corriger des bugs dont les trois quarts sont dus au fait que la programmation a été faîte à la va-vite. Ça n'a rien de passionnant. Si programmer est pour vous une passion (vous avez raison, c'est un beau métier), vous avez tout intérêt à choper un poste chez un bon éditeur de logiciel ou idéalement dans une bonne boîte Américaine style Google ou Facebook (Microsoft, en son temps, fût une belle boîte, maintenant, j'ai eu des échos négatifs, mais je n'en sais pas plus). Si l'informatique vous passionne et si vous êtes doué, vous arriverez au moins à aller chez un bon éditeur logiciels. Vous ferez toujours du code si tel est votre souhait, mais vous serez bien mieux payé, on exigera de vous un code propre et bien documenté qui n'aura rien à voir avec le fatras que l'on trouve dans les SSII et on vous donnera le temps qui faut pour. Vous rencontrerez des gens compétents dans leurs domaines, alors qu'en SSII, les trois quarts des gens que vous rencontrerez sont des débutants, ceux qui y restent longtemps ne sont pas les meilleurs éléments, sauf rares exceptions.
Bref, que ce soit au niveau du salaire ou du boulot, ça n'a rien à voir.

Ne pas penser qu'à l'argent, c'est normal. On n'a pas fait cinq ans d'études pour s'ennuyer toute la journée. Gagner quelques k€ de moins pour avoir en contrepartie un job qui vous plaît, c'est un choix qui se défend. Ça se comprend quand c'est pour bosser dans une association qui défend une cause qui vous plaît. On sait bien qu'on ne fait jamais fortune dans ce type de structure. J'ai un ami qui bosse chez Mozzila, il ne doit pas gagner des fortunes, mais ça lui est égal. Ce type de choix, je le comprend.
Mais accepter de gagner si peu pour le plaisir de rester dans ces boîtes à fric que sont les SSII qui ne pensent qu'à vous rouler pour gaver des actionnaires, c'est stupide. A tel point que je soupçonne fortement les commentateurs qui disent le faire sur les forums de ne pas être des profils authentiques.

Tout ceci étant dit, gagner de l'argent, c'est quand même intéressant, les nouveaux diplômés s'en apercevront quand ils verront leurs premières factures, quand ils auront des gosses et besoin d'un appartement plus grand. Qu'on accepte d'en gagner moins pour défendre une cause dans une association, soit. Ou à la limite pour un métier intéressant dans une PME qui ne fait pas un fric monstre (c'est-à-dire dont le patron ne s'achète pas un 4X4 neuf sur le dos de ses employés).
Mais dans une SSII...
Moi, j'estime que quand je travaille, on me paie, quand je fais une heure de plus le soir, on me la rend ou on me la paie.
C'est une question d'argent et aussi de principe.
J'entends d'ici les accusations de mesquinerie : quand on est ingénieur et que l'on est passionné, on ne doit pas compter ses heures, blablabla. Je vous retourne l'argument : si on ne compte pas entre nous, vous pouvez bien me payer une heure de plus tous les jours. Effectivement, si je reste un quart d'heure après l'heure de départ prévue, une fois, je ne vais pas jouer à l'oncle Piscou. Mais donner une heure de plus tous les soirs, c'est niet. Je ne bosse pas gratis.

Argent et bonne ambiance vont ensemble

Je n'ai pas beaucoup d'expérience, mais je discute pas mal avec d'autres gens, j'analyse beaucoup ce que l'on me dit, et l'opinion que je me suis faîte c'est que le salaire et la bonne ambiance de travail vont généralement ensemble à l'exception des organisations à but non lucratif dans lesquelles les gens peuvent aimer ce qu'ils font et se plaire dans la structure sans pour autant que cette dernière n'ait de gros moyens financiers.

Dans le cas d'une entreprise, il y a des effets d'entraînement qui vont créer un cercle vicieux ou vertueux selon la qualité du management.

Cercle vicieux (comme dans 99% des SSII) :

  1. Tout va aux actionnaires ou aux dirigeants
  2. Les salariés ne sont pas bien payés
  3. Ils sont mécontents, ce qui créé une mauvaise ambiance
  4. Ceux qui le peuvent mettent les voiles pour le salaire, pour l'ambiance ou pour les deux
  5. Globalement, ceux qui partent sont les meilleurs (plus exactement ceux qui ont le meilleur CV ce qui n'est pas pareil mais fort heureusement, il y a corrélation). Résultat : ce sont des incapables qui restent et qui montent, ce qui fait que l'entreprise est mal dirigée. Cela réduit également l'intérêt du métier puisque l'on est pas en contact avec des gens brillants dans leur domaine. En SSII, vos voisins de bureau seront des jeunes qui, comme vous, sortiront de l'école, ce ne seront pas des experts dans quoi que ce soit. Les stars du C/C++, java, SQL ou PHP, ils vont chez Google, Facebook, ou ils font de la recherche.
  6. Il y a les départs, et il y a aussi l'absence de projection dans l'entreprise, ce qui est encore pire. Il y a l'idée omniprésente que "l'année prochaine, je ne serais plus là". J'ai vu des dizaines de gens s'endormir en entendant parler des objectifs annuels parce qu'ils savaient qu'ils ne resteraient pas assez longtemps pour les voir. Je ne saurais vous donner une idée du nombre astronomique de problèmes, de bugs et de malfaçons que j'ai glissé sous le tapis parce que je savais que le jour où ils ressortiraient, je serais parti depuis longtemps. Chez SSII-lamda, j'étais de passage.
  7. La productivité se trouve réduite par le double effet de la démotivation des salariés et de l'incompétence de la direction ce qui pénalise les salaires et la capacité de l'entreprise à investir. Retour au point 1 et 2.


Cercle vertueux :

  1. Les salaires sont élevés
  2. Les gens n'ont jamais aucun problème de fin de mois et ils ne sont pas frustrés. On dit que l'argent ne fait pas le bonheur mais en entreprise, c'est totalement faux. Bien sûr, une plus grosse paie ne réglera pas vos problème familiaux, ne vous évitera ni les déceptions amoureuses, ni les ennuis de voisinage. Mais quand vous arrivez le matin au bureau, vous savez que vous n'êtes pas venu pour rien, ça aide.
  3. Effet positif sur l'ambiance
  4. Baisse du turn over : puisque les salaires sont corrects, il y a peu d'endroits où l'herbe est plus verte. On trouve rarement mieux ailleurs.
  5. Et surtout il n'y a pas cette impression omniprésente d'être de passage. Les objectifs de fin d'année nous intéressent, parce que, sauf opportunité très intéressante, on sera encore là en décembre. Ils nous intéressent aussi parce que du succès ou de l'échec dépend le montant de notre prime de participation qui peut atteindre plusieurs milliers d'euros. Aujourd'hui, je ne glisse plus les problèmes sous le tapis. Je pense que je serais encore au même poste dans un an, et dans la même entreprise dans cinq ans. Par conséquent, si je laisse un problème de côté, c'est sûrement moi qui devra le résoudre, et si quelque chose tourne mal, c'est sur moi que l'on tapera. Le bug que j'ai trouvé, j'ai le choix entre le corriger maintenant ou le corriger dans un an, quand il deviendra critique et que j'aurais oublié où il est.
  6. Le travail est fait efficacement, les bons éléments restent et montent, on a des têtes bien faîtes à la direction.
  7. La boîte fait du pognon.
  8. Retour au point 1.

Il y a des études, à mon avis orientées, qui concluent que le salaire n'a pas ou peu d'impact sur la productivité. Il me paraît clair dans le monde informatique qu'il en a sur le turn over. Peut être que, en lui même, le salaire a effectivement un impact moins important que l'on pourrait le croire. D'ailleurs, je ne crois pas non plus que l'impact direct soit le plus important : je n'ai jamais vu de salarié dire "puisque je suis mal payé, je travaillerais moins bien". Même en privé avec des amis proches qui savent que je ne les trahirais pas, très peu de gens tiennent ce genre de discours.

En revanche, le côté "cette boîte ne paie pas, je reste deux ans et je pars" puis, "je m'en fiche, je pars dans 2 ans", il y en a à la pelle.

Vous avez compris ?

Soit vous gagnez sur tous les tableaux, soit vous perdez sur tout !

Si une RH ou un manager vous dit "c'est vrai qu'on paie mal, mais vous verrez, l'ambiance est super !", dîtes vous bien que c'est un menteur de plus qui cherche à vous vendre sa salade.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article